Rapport sur la Journée des chercheurs 2024

La Journée des chercheurs 2024 a fermé ses portes il y a quelques jours, et nous souhaitons remercier nos nombreux intervenants, ainsi que l’assistance venue en grand nombre participer à cet événement.

RAPPORT SUR LA JOURNEE DES CHERCHEURS DU 17 MARS 2024

La Société d’Histoire des Juifs de Tunisie (S.H.J.T.) organise à intervalles réguliers depuis 2003, une journée d’étude dite « Journée des Chercheurs ». Le but de cette journée est double :

  • d’une part permettre à des chercheurs confirmés et à des étudiants en master ou en doctorat de présenter les grandes lignes ou un aspect particulier de leur travail de recherche, de recueillir le cas échéant des informations et des orientations auprès de personnes qualifiées et de faire le point de l’état des recherches en cours sur l’histoire des Juifs du Maghreb.
  • d’autre part de présenter un thème d’étude retenu par le Conseil scientifique de notre Société pour l’année universitaire à venir (ou les deux années à venir), d’en définir les problématiques, de dresser un état des sources existantes, et de prendre connaissance des premiers travaux engagés.

Le thème retenu est : la pratique du sport par les Juifs de Tunisie pendant la période coloniale et les premières années qui ont suivi l’Indépendance.

Les précédentes journées de ce type avaient été organisées à la Sorbonne ou à l’École Normale Supérieure. En raison de l’impossibilité désormais d’utiliser les salles universitaires le dimanche, cette Journée s’est déroulée à la Mairie du 9 ème arrondissement de Paris 6 rue Drouot, qui dispose d’une très belle salle (Salle Rossini), très fonctionnelle et équipée d’un matériel audio-visuel de qualité, mise gracieusement à notre disposition par Madame Delphine Burkli Maire du 9 ème arrondissement.

La Journée a été divisée en deux séquences : la séquence du matin consacrée à la présentation de travaux récents, et la séquence de l’après-midi consacrée à la thématique de la pratique du sport par les Juifs de Tunisie.

Notre association a bénéficié d’une subvention de la Fondation Flak logée par la Fondation du judaïsme français pour l’organisation de cette journée.

Un public intéressé a assisté aux débats. La séquence du matin a réuni 120 auditeurs, majoritairement des d’étudiants et des chercheurs, intéressés à connaitre les nouvelles recherches achevées récemment ou encore en cours. La séquence de l’après-midi a été moins suivie contrairement à nos prévisions. Nous avons compté moins de 100 auditeurs à l’ouverture de la séance et 80 en permanence. La majorité du public était composée de personnes ayant eu des activités sportives en Tunisie et se situant dans une attitude de témoins, et les étudiants et plus généralement les universitaires étaient moins nombreux mais très avides de pistes à explorer et intéressés par la perspective de recherches ultérieures.

SEQUENCE DU MATIN : PRESENTATION DE TRAVAUX RECENTS

Dans le cadre de cette séquence présidée par Jérémy Guedj Maître de conférences à l’Université de Nice Côte d’Azur et à Sciences-Po et Vice- président de la SHJT, quatre intervenants ont présenté leurs travaux : deux français, un italien et un israélien.

À titre préliminaire, nous devons rappeler qu’en 2022 et en 2019 nous avions entendu 10 communications, et 12 et 14 les années précédentes.

De façon continue, nous avions pu recevoir parmi les auteurs de communications deux ou trois israéliens et au moins 4 tunisiens. Cette année, plusieurs thésards israéliens, invités par nos soins dès le mois de juillet 2023 et qui avaient donné un accord de principe, ont dû renoncer à participer en raison de leurs obligations militaires. En ce qui concerne les Tunisiens, la conjoncture actuelle les ont conduits à préférer ne pas participer pour ne pas être l’objet de critiques voire de menaces au sein de leurs universités.

Plus généralement, nous devons constater la baisse du nombre de doctorants intéressés par l’histoire des Juifs du Maghreb au sein de l’Université française comme dans les Universités israéliennes et tunisiennes. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette baisse au moins pour ce qui concerne l’Université française : baisse du niveau des étudiants en histoire, baisse du nombre de thésards, manque d’intérêt après une période plus faste, nécessité pour la plupart des sujets de recherches archivistiques en Tunisie et en Israël, craintes réelles de mise à l’index d’étudiants souhaitant travailler sur un sujet lié aux Juifs en général.

Une société savante comme la nôtre, doit reprendre la croisade entreprise dans les années 1990 pour les études juives et au sein de ces études, l’histoire des Juifs du Maghreb.

Le premier intervenant Léonard Pécout-Bourel prépare une thèse sous la direction de Laura Hobson-Faure à l’Université Panthéon-Sorbonne sur le sujet suivant « Les Juifs de Tunisie ayant vécu à Paris sous l’occupation allemande ». Étant en début de recherche, il a présenté sa méthodologie, son corpus et les grandes lignes de sa problématique provisoire. Cette présentation faite avec rigueur et logique a montré l’intérêt et la richesse du sujet, sa très bonne appréhension et une bonne identification du corpus qu’il conviendra de compléter par des sources qui lui ont été indiquées ou suggérées lors du débat.

Le deuxième intervenant Thierry Samama spécialiste de généalogie juive, a présenté un travail de recherche sur les origines de la famille Bessis famille de notables de la communauté juive de Tunisie du XIXème siècle au XXème siècle, dont il fait remonter les origines dans la France du Moyen Age avant l’édit d’expulsion de Charles VI, puis en Espagne et au Maghreb à partir de 1392 et des premières persécutions espagnoles préparant celles de Ferdinand et d’Isabelle la Catholique.

Le troisième intervenant David Ichoua Moatty de l’Université hébraïque de Jérusalem a présenté un travail encore inédit et passionnant sur les poèmes écrits en judéo-arabe en Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale, se lamentant des succès des troupes de l’Axe ou se réjouissant au contraire de leurs défaites, et abreuvant de bénédictions les noms de Churchill, de Roosevelt et de Charles de Gaulle.

Le quatrième intervenant Gabriele Montalbano a soutenu en 2019 une thèse sur « Les Italiens de Tunisie entre 1881 et 1918 » à l’Université de Bologne publiée en 2022 dans la collection de l’École française de Rome. Il a extrait de cette thèse des informations sur la structure et les aspirations politiques et
patriotiques des Juifs italiens à l’intérieur de cette communauté italienne soumise au protectorat français.

Globalement, toutes les communications ont été de qualité, certaines révélant un travail remarquable, d’autres un travail encore embryonnaire mais prometteur. Il n’y a eu aucune communication de mauvaise facture. Les discussions avec le public et les universitaires présente, ont permis d’apporter aux auteurs de certaines communications des informations ou des axes de recherches.

SEQUENCE DE L’APRES-MIDI : UN THEME D’ETUDE LES JUIFS ET LE SPORT EN TUNISIE

La séquence de l’après-midi a été organisée en partenariat avec la Commission française des archives juives. Elle a été divisée en quatre sessions.

1 – La première session intitulée « Pratiques sportives en situation coloniale. Sociabilités et identités » a été présidée par Valérie Assan Présidente de la commission française des archives juives. La présidente de séance dans une introduction d’une dizaine de minutes a souligné que la thématique retenue était nouvelle dans la recherche et s’éloignait des sentiers battus. Elle vise au-delà de la relation entretenue par les Juifs de Tunisie avec l’exercice physique, à s’intéresser au tissu associatif juif et non-juif en milieu colonial, aux relations nouées entre communautés à travers le sport – tant amicales que conflictuelles – , au regard des élites communautaires juives ainsi que du rabbinat sur la pratique du sport, au rôle du sport dans l’évolution politique et juridique des individus. Elle a brossé un tableau des champs qui seraient à investiguer et du corpus disponible déjà partiellement identifié.

Claude Nataf a présente une communication sur l’histoire générale de la pratique sportive par les Juifs de Tunisie en distinguant trois périodes :

  • la première période de 1900 à la Première Guerre mondiale : le sport ne concerne qu’une petite élite économique et culturelle, issue en grande partie de l’enseignement français et des écoles de l’Alliance israélite universelle. Très influencée par l’hygiénisme et le souci d’une bonne santé, cette élite entend
    poursuivre à l’âge adulte l’exemple acquis en milieu scolaire. D’où la naissance d’un premier club en 1907 assez élitiste, puis d’une seconde association plus populaire en 1912. Les exercices physiques sont aussi vus comme un moyen de préparation au service militaire corollaire d’une naturalisation française revendiquée et prochainement espérée.
  • la seconde période est celle de l’entre- deux-guerres : le sport est encouragé par les organismes communautaires toutes tendances confondues au sein d’associations confessionnelles mais aussi au sein d’associations laïques et particulièrement encouragé au sein de ces dernières.
    Le sport est perçu comme un moyen d’intégration dans la Cité, de pénétration au sein des autres communautés et d’émancipation politique. L’égalité dans le sport est un prélude heureux à l’égalité revendiquée dans la Cité. Sous réserve de recherches ultérieures et de mesures plus approfondies, il
    semble que la pratique sportive autrefois apanage d’une petite élite économique et intellectuelle, ait gagné toutes les couches de la population juive tant à Tunis que dans les grandes villes de l’intérieur. Si l’on rencontre des sportifs juifs dans toutes les disciplines y compris en tir et en escrime, le football suscité beaucoup d’enthousiasme en particulier parmi la partie la plus populaire de la population juive. Des sportifs juifs de Tunisie s’illustrent dans des compétions nationales et internationales. Young Perez est champion du monde de boxe en 1931. En 1936, deux sportifs juifs de Tunisie, Marcel Fitoussi pour le tir au pistolet et Zizi Taieb pour la natation, sont sélectionnés pour les Jeux Olympiques de Berlin.
  • La troisième période va de 1945 à l’Indépendance de la Tunisie (1956). Après le choc moral engendré par les lois discriminatoires du gouvernement de Vichy, les associations sportives juives se reconstruisent lentement. On constate un repli identitaire en rupture tacite avec la volonté d’intégration par le sport qui caractérise l’avant-guerre. La dimension idéologique change. La Communauté juive de Tunis organise avec l’aide du Joint Américain une nouvelle association
    « Sport et Joie » dédiée aux enfants les plus pauvres. Les mouvements sionistes de toutes tendances créent des associations sportives spécifiques dans le souci de préparer les jeunes juifs de Tunisie à l’Alya et aux conditions de vie des pionniers israéliens. Si la pratique sportive s’intensifie de plus en plus, elle repose beaucoup moins sur une volonté d’intégration et d’émancipation.

Le professeur tunisien Abdelhamid Larguèche qui malgré les menaces subies de la part de ceux qui prohibent tous contacts scientifiques avec des universitaires israéliens a accepté de participer à cette Journée en fidélité aux principes universitaires, a repris la communication de Claude Nataf pour
démontrer les ressemblances et les différences d’appréhension de la pratique sportive que la communauté musulmane. Cette dernière a surtout vu dans la pratique sportive un moyen d’affirmer une identité nationale tunisienne et d’exalter le sentiment nationaliste. Il a souligné les liens entre le mouvement
national tunisien et certaines associations sportives par le biais de dirigeants communs.

2 – Cette session a été suivie d’une projection de photographies de compétitions sportives et d’équipes sportives pour la période 1910-1956, réalisées par Victor Sebag reporter-photographe en Tunisie et également dirigeant d’associations sportives. Elles ont donné lieu à des explications historiques par Gérard Sebag fils de l’auteur des photographies.

3 – La troisième session a consisté en une table ronde réunissant quatre anciens sportifs juifs de Tunisie (Gilbert Cohen, Gérard Boublil, Max Sitruk et Sylvain Bitan) sous la présidence d’Etienne Pénard chercheur à l’Université de Rennes et auteur de la première thèse universitaire sur la pratique sportive des Juifs de France soutenue en 2022. Cette table ronde très vive, a permis d’évoquer à travers les souvenirs des sportifs, la convivialité ayant régné entre sportifs de toutes origines et les préoccupations plus politiques de certains dirigeants notamment au moment de l’indépendance.

4 – La quatrième session a été présidée par Catherine Nicault professeur émérite à l’Université de Reims. Jean-Claude Kuperminc conservateur des archives et de la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle a présenté à l’aide de documents et d’un court film datant des années 1930, le programme d’éducation physique et sportive des écoles de l’Alliance en Tunisie. Marie-Anne Guez a rappelé le lien affirmé entre la pratique sportive et la préparation militaire. Les deux premières associations sportives juives se définissent et sont agréées comme des associations de préparation militaire. Sur les Juifs tunisiens engagés volontaires en 1914-1918, plus de la moitié sont membres ou anciens membres des associations sportives juives. Après 1918, ces associations participent aux fêtes patriotiques, aux journées commémoratives, et
ne manquent pas de rappeler le souvenir de leurs membres morts au Champ d’honneur.
Doriane Gomet a présenté pour sa part une communication sur la situation des sportifs juifs sous Vichy. Le statut des Juifs de novembre 1940 n’a pas apporté d’entrave à leurs activités sportives. Plusieurs d’entre eux ont participé aux Journées Borotra (mai 1941) et s’y sont distingués, ou ont représenté la Tunisie dans des compétitions inter Afrique du Nord ou en métropole. Mais leurs succès ont fait sourciller les antisémites. Peu de temps après les Journées Borotra, les associations sportives juives ont été dissoutes, puis les Juifs ont été éliminé des organes dirigeants des associations sportives laïques, et enfin les Juifs ont été interdit de compétitions sportives à compter du mois de septembre 1942.

Toutes les sessions de l’après-midi ont donné lieu à de larges échanges entre le public et les intervenants.
L’ensemble a permis de dégager des axes de recherche à l’intérieur de cette thématique et des sources disponibles en France et en Tunisie, notamment dans des archives privées. (1)

Une commission de spécialistes se réunira prochainement afin de mettre en œuvre le programme de travail sur une ou sans doute deux années, tant la thématique est large, travail auquel participeront des chercheurs intéressés et nous l’espérons vivement des chercheurs israéliens et tunisiens, dans un souci de coopération strictement scientifique.

(1) Les recherches porteront notamment mais pas exclusivement, sur les relations judéo-arabes dans le cadre de la pratique sportive, sur la place des femmes dans le sport, sur l’’impact du discours sioniste sur la régénération par le corps, sur le tissu associatif, sur l’attitude des différents courants de la communauté, sur la pratique sportive au sein des communautés de l’intérieur de la Tunisie, sur la situation des sportifs juifs au sein des équipes nationales tunisiennes après l’Indépendance, etc…

Gallerie photo

Voici quelques photos pour revenir sur cette journée particulière, dont vous retrouverez le programme en suivant ce lien.

Matinée

Après-midi

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