Le dimanche 8 décembre 2024 a eu lieu la cérémonie commémorative de la rafle des Juifs de Tunisie. Vous trouverez ci-après le discours du Président de la SHJT Claude Nataf, l’article publié par Claude Bochurberg dans Actu J, ainsi qu’une sélection de photographies prises pendant la cérémonie.
DISCOURS PRONONCE LE 8 DECEMBRE 2024 A L’OCCASION DE LA CEREMONIE ORGANISEE PAR LA SOCIETE D’HISTOIRE DES JUIFS DE TUNISIE A LA MEMOIRE DES JUIFS DE TUNISIE VICTIMES DES NAZIS
Monsieur le Grand Rabbin de Paris, Messieurs les Rabbins,
Monsieur le représentant de Monsieur le Ministre délégué aux Armées et aux anciens combattants
Madame la représentante de l’Ambassade d’Israël
Madame la Députée,
Madame la Maire du 8ème arrondissement, Mesdames et messieurs les élus de Paris, de Levallois, de Neuilly sur Seine, de Courbevoie et de Sarcelles,
Monsieur le Conseiller régional représentant madame Valérie Pécresse,
Monsieur le Président du Consistoire de Paris, Monsieur le président du CRIF, Monsieur le Président de la Fondation pour la
Mémoire de la Shoah, Mesdames et messieurs les présidents et représentants des grandes organisations juives
Monsieur Claude Bochurberg représentant Serge Klarsfeld et Mesdames er Messieurs les présidents et représentants des associations d’anciens déportés, d’anciens combattants et de mémoire
Mesdames et Messieurs les portes drapeaux,
Chers enfants des Talmuds Torah de la Synagogue des Juifs de Djerba, de la Synagogue Buffault et du Centre français du judaïsme tunisien, qui êtes la transmission de demain
Mesdames et Messieurs,
Il est difficile de parler dans cette crypte dont le sol renferme des cendres ramenées des camps d’extermination, dont les armoires contiennent les restes de rouleaux sacrés de communautés d’Europe de l’Est, toutes décimées et disparues. Ici tout appelle au silence, au souvenir, au recueillement, à la prière. La musique parce qu’elle sait exprimer le langage de la douleur serait peut-être plus appropriée là où l’éloquence ne saurait trouver l’ombre d’une fonction.
Ici l’on ferme les yeux et l’en entend les cris de détresse, les ordres hurlés, les voix de ces 6 millions d’hommes, femmes, enfants, qui parce que Juifs, ont franchi le passage de l’humanité à la barbarie.
Les mots paraissent alors vides de sens, dérisoires. Et pourtant je fais face à cette flamme de l’ossuaire qui scintille et brille comme un défi à la nuit. Cette lumière rappelle la vie, la vie qui renait, qui revient et pour les vivants d’aujourd’hui, pour les enfants qui sont ici et qui auront à transmettre j’ai de devoir de raconter, de raconter pour rendre hommage aux victimes, de raconter pour que ne se renouvelle pas la tentation de l’inhumain. Depuis le 7 octobre 2023 nous savons que l’inhumain est toujours possible et nous avons vu par les images que les moyens modernes permettent de diffuser des actes de barbares, les plus monstrueux, les plus indignes après la Shoah, nous avons vus des femmes éventrées, des bébés égorgés, des êtres vivants brûlés vifs, brûlés comme à Auschwitz.
Alors je dois raconter…
Le 8 Novembre 1942, les troupes anglo-américaines débarquaient en Algérie et au Maroc, prélude à la libération de l’Europe du joug nazi.
Hitler comprit aussitôt que pour éviter que les troupes de Rommel qui se battaient en Lybie poursuivies par la 8ème Armée de Montgomery et les Forces Française Libres de de Gaulle ne soient prises en tenailles, il lui fallait occuper la Tunisie et diriger ses troupes vers l’Algérie pour rejeter les Alliés à la mer et les priver de ces bases de départ vers l’Europe.
Le 9 novembre 1942 des troupes germano-italiennes prennent pied en Tunisie. Ce pays de douceur et au ciel bleu éclatant devient le théâtre d’une bataille de six mois, une des batailles les plus meurtrières de la guerre.
Alors que la bataille aurait dû être leur unique préoccupation, là comme partout où ils passèrent, comme à Paris et à Varsovie, comme à Rome et à Salonique, comme à Budapest et dans la petite île de Rhodes, les Allemands s’en prirent à la population juive déjà victime depuis novembre 1940 des lois discriminatoires du gouvernement de Vichy.
C’est le colonel SS Rauff qui est le responsable de l’action antijuive, ce vaillant trouvant sans doute moins dangereux de s’en prendre à des populations sans défense que d’aller en soldat combattre d’autres soldats sur le front. Ami d’Heydrich et adjoint d’Eichmann, Rauff a organisé la mise à mort industrielle des Juifs d’Europe. Inventeur des camions à gaz mobile où périrent des milliers de Juifs polonais, il participa ensuite à la conception des chambres à gaz. Au début de 1942, alors que l’Armée allemande s’apprête à envahir l’Egypte, Rauff est détaché auprès de l’Etat-major de Rommel. Il a mission pour le cas bien espéré de victoire sur les Britanniques, « de traiter » la question juive en Egypte et en Palestine. Mais l’offensive britannique contraint Rommel à reculer jusqu’en Lybie puis de là jusqu’en Tunisie. Rauff n’a donc pas pu exécuter sa mission mais puisque le cours de la guerre l’a placé en Tunisie, puisqu’il y a des Juifs en Tunisie, Rauff en soldat discipliné va tenter d’y exécuter sa mission et de « traiter » la population juive.
Il ne dispose que d’une dizaine de SS et les généraux de la Wehrmacht confrontés aux difficultés du front sont peu enclins à mettre à sa disposition leurs soldats pour une mission qu’ils ne comprennent pas ou dont ils ne voient pas l’utilité sur le plan militaire. Rauff tente alors de pousser la population musulmane au pogrom. Pour cela, il distribue force billets de banque mais en pure perte, car informés les chefs de la population musulmane réussirent à empêcher l’exécution de ce drame qui se limita au pillage d’entrepôts et de marchandises.
Furieux, Rauff décide alors d’enfermer les Juifs de 18 à 40 ans dans des camps de travail disséminés sur le territoire tunisien sous prétexte de travaux pour le compte des armées de l’Axe mais en fait-et nous en avons retrouvé la preuve il y a quelques années seulement-de les fusiller, le jour où comme il l’espérait, les troupes allemandes perceraient le front et avanceraient sur l’Algérie.
Le 9 décembre au matin, Rauff se présente avec ses SS à la Grande Synagogue de l’avenue de Paris. Les SS tirent des coups de feu, frappent les gens en prière, vandalisent le Lieu Saint en profanant les rouleaux de la Torah, détruisent les livres et les objets sacrés, vandalisent le mobilier et arrêtent tous les hommes présents, y compris les rabbins, les officiants, les vieillards, les infirmes. Dans tout le quartier, renseignés sur les identités par des jeunes arabes, les soldats allemands arrêtent tous les Juifs qui passent et il en est de même aux abords de l’école de l’Alliance Israélite rue Malta-Srira. C’est la Rafle.
Toute la journée du 9 décembre, plusieurs milliers de juifs sont arrêtés et acheminés à pied, sous la garde de soldats allemands, vers des camps de travail pour la plupart le long de la ligne de front. La première victime est un jeune homme de 19 ans Gilbert Mazouz, qui portant un appareil orthopédique trébuche et tombe épuisé au bout d’une marche de 50 kilomètres, malgré tous les efforts de ses compagnons d’infortune. Un SS le tue froidement d’un coup de fusil. Deux jours après, à l’Ariana, ce sera au tour de l’élève rabbin Victor Nataf, d’être fusillé, parce que pour les nazis il fallait impressionner la population à l’ordre allemand en fusillant un rabbin.
A partir du 9 décembre 1942 et jusqu’à la libération de Tunis le 8 mai 1943, pendant que cent notables sont emprisonnés en qualité d’otages destinés à une mort certaine, 5.000 jeunes juifs de Tunis sont envoyés dans des camps, utilisés comme main d’œuvre dans des conditions contraires au droit des gens et à toutes les lois de l’humanité. Ils sont employés aux endroits les plus exposés sur les terrains d’aviation, les champs de bataille, sous les coups de cravaches des gardiens allemands, victimes permanentes de sévices, d’exactions et parfois hélas d’assassinats.
A Nabeul, à Kairouan, à Sfax, à Sousse, les Allemands agissent de même avec dans cette dernière ville le triste concours de SOL français. Et partout, des réquisitions mobilières, des pillages, des amendes collectives de plus de 80 millions de francs de l’époque, des viols de femmes.
Et au mois d’avril 1943, un mois avant la libération de Tunis un premier contingent de déportés part par avion pour l’Italie puis de là vers les camps d’ORIANENBOURG, de MATHAUSEN et d’AUSCHWITZ. Heureusement moins d’un mois plus tard, le 8 mai 1943, les armées de l’Axe prises en tenaille entre les forces Alliées venues de Tripolitaine et celles venues d’Algérie étaient contraintes de capituler.
Ce cortège de souffrances qui s’est traduit par des larmes pour des pères, des mères, des épouses, des enfants, apparait infinitésimal face aux souffrances des Juifs d’Europe. Mais il ne convient pas de distinguer ou de séparer. Ce serait indécent, car toutes ces souffrances procèdent d’un même dessein : pourchasser toujours et partout les Juifs de toutes origines, de toutes nationalités, croyants ou incroyants, orthodoxes ou libéraux, fidèles à la tradition de leurs ancêtres ou la rejetant.
En évoquant cette période dramatique de l’histoire de la population juive de Tunisie, je n’oublie pas qu’elle eut le bonheur de rencontrer l’aide ou le réconfort d’amis musulmans ou chrétiens, dont le Prince de la dynastie husseinite qui régnait alors sur la Tunisie affirmant que les Juifs étaient ses enfants ou Monseigneur Gounot Archevêque de Carthage mettant les catholiques en garde contre l’antisémitisme et rappelant « Jésus-Christ notre divin modèle était juif ».
Cette cérémonie associe le souvenir des Juifs de Tunisie morts au Champ d’Honneur en même temps que les noms des déportés et des morts dans les camps de travail.
Il y a deux ans sur la suggestion de notre Société, une jeune agrégée d’histoire a soutenu en Sorbonne, une thèse sur les Juifs de Tunisie dans l’Armée française durant les deux guerres mondiales qui a été publiée il y a quelques mois. Elle révèle qu’en 1943, 85% des Juifs français mobilisables avaient refusé de répondre à l’ordre de mobilisation de l’Armée d’Afrique commandée par le Général Giraud et avaient rallié les Forces françaises libres, parce qu’elles incarnaient à leurs yeux l’Honneur et la République, la République française en laquelle ils croyaient.
Indépendamment des Juifs français et tunisiens combattants des campagnes d’Afrique, de Tunisie, d’Italie, de France et d’Allemagne, nous devons aussi saluer la mémoire des résistants, ceux qui eurent le bonheur de revenir comme Serge Moati, Lise Hanon, et les courageux Ankri et Maurice Taïeb qui n’hésitèrent pas alors qu’ils étaient détenus dans un camp de travail à continuer leur action, et ceux qui ne revinrent pas comme Alfred Rossi, Edouard Dana, Victor Cohen ou Max Guedj, natif de Sousse, Compagnon de la Libération, cité par le Général de Gaulle dans ses Mémoires.
Ce qui s’est passé il y a 82 ans nous rappelle combien nous devons rester vigilants tandis que ressurgissent les vieux démons ; la haine de l’autre, le rejet de l’autre, l’antisémitisme, le négationnisme.
La douleur d’une maman israélienne qui pleure son enfant tué, dépecé, éventré, par les hordes du Hamas, et la douleur d’une maman palestinienne qui pleure son enfant tué sous un bombardement aérien à Gaza, sont aussi déchirantes l’une que l’autre, et révoltent la conscience humaine.
Mais ne doit-on pas être d’abord révoltés, par le sort d’un bébé de 9 mois, pris en otage le 7 octobre, d’un bébé israélien qui est otage depuis le 7 octobre 2023, depuis plus d’un an maintenant, d’un bébé dont on ignore comment il est gardé, nourri, soigné, dont on ne donne aucune nouvelle, dont tout le monde semble trouver normal qu’à son âge il soit otage. Permettez-moi de m’étonner du silence du Comité International de la Croix Rouge ou d’Amnesty International qui limitent visites et inspections aux prisons israéliennes. Messieurs du Comité International de la Croix Rouge, vous dont les prédécesseurs ont été silencieux à Auschwitz, n’avez-vous pas honte ? Vous poursuivez le silence d’Auschwitz. N’avez-vous pas honte ? Il est vrai que comme à Auschwitz, il s’agit d’un bébé juif.
Le 7 décembre 2014 à l’occasion de cette même cérémonie, j’évoquais l’affreuse tuerie de Toulouse : « Il y a quelques mois à Toulouse on a tué trois militaires parce qu’ils étaient français et qu’ils faisaient leur devoir pour leur pays. A Toulouse on a tué un enseignant et 3 enfants parce qu’ils étaient juifs. A Toulouse on a mis un révolver sur la tempe d’une fillette de 9 ans et on l’a tuée froidement parce qu’elle était juive. A Toulouse on a tué deux petits garçons de 4 et 5 ans parce qu’ils étaient juifs. Nous ne voulons plus de tels crimes dans notre beau pays de France. »
« Nous ne voulons plus… »
J’étais optimiste : combien de morts depuis : les 4 otages de l’hyper-cacher dont le jeune Hattab venu de Tunisie, parce qu’ils étaient juifs, Sarah Halimi parce qu’elle était juive, Mireille Knoll parce qu’elle était juive, et depuis le 7 octobre 2023 combien de synagogues attaquées, combien de cris de morts aux Juifs entendus ici ou là, combien de tags sur des maisons juives, combien d’enfants maltraités dans les écoles parce que juifs, obligés de quitter l’Ecole Publique, l’Ecole de la République parce qu’elle ne pouvait les protéger.
Et qu’on ne nous dise pas que cela est la conséquence des évènements du Proche-Orient. Ce ne sont pas des lieux israéliens ou des citoyens israéliens que l’on attaque en France, ce sont des Français parce qu’ils sont Juifs.
Et le pire est arrivé. Nous avons vu, nous avons entendu, le 8 septembre dernier, sur une Place chargée d’Histoire de France qui porte le beau nom de Place de la Nation, des individus incapables de comprendre ce nom et cette histoire, devant des députés élus du peuple français, revêtus de leurs écharpes qu’ils n’avaient pas eu la décence d’enlever pour ne pas les avilir, nous avons entendu , un certain Elias d’Imgolène, appeler à l’Intifada dans Paris : « Etes-vois prêt à mener l’Intifada dans Paris, dans nos banlieues, dans nos quartiers » sous les applaudissements de la foule.
L’Intifada dans Paris, dans les banlieues, dans les quartiers : contre qui ? contre-les israéliens ? Il y en a si peu. Non contre les Juifs, contre les Français juifs.
Propos d’un fou ? C’était ce que l’on disait en 1934 des discours d’Hitler et nous savons maintenant que les discours d’un fou peuvent devenir réalité.
Un récent sondage révélait que 12% des français pensaient que le départ des Juifs de France était une bonne chose pour la France et que 17% des moins 35 ans pensaient de même. 64% des Français reconnaissant que les Juifs avaient des raisons d’être inquiets en France. En cet instant où nous commémorons les victimes de l’antisémitisme d’il y a 82 ans je ne puis ignorer les avertissements d’aujourd’hui.
Juif croyant, l’existence d’Israël est nécessaire car elle est la réalisation de la promesse divine à Abraham, car cette notion de terre est co-substantielle au judaïsme. Comment pourrais-je croire sans Israël ? Comme l’a écrit Elie Wiesel « un Juif peut vivre en dehors d’Israël, mais il ne peut vivre sans Israël. »
Mais la France est mon pays. J’ai bu aux sources de sa culture selon l’expression de Marc Bloch, j’ai fait mien son passé, j’aime ses mots polis sur les lèvres des siècles, mots drapés de Bossuet, mots jolis de Voltaire, je ne me sens moi-même que sur son sol, et comme les miens j’ai tenté de la servir. Trois de mes grands-oncles sont morts pour la France au Champ d’honneur. Leur sang a séché sur la terre de France de la Champagne pouilleuse à la Loire.
On voudrait m’extraire de ce pays ? Quelques soient les circonstances je ne le quitterai pas, je ne le quitterai jamais. Ce serait trahir les miens et trahir les valeurs de la République.
On a dit que la lutte contre l’antisémitisme devait être déclarée cause nationale. Sans doute, cause de l’Europe, cause de l’Humanité entière. On peut rêver.
Ce que je sais c’est que ceux qui prône l’antisémitisme en France, qui veulent l’Intifada sur le territoire français, n’ont pas leur place dans la communauté nationale, ils en sont indignes, ils n’ont rien compris aux valeurs de la France, aux valeurs de la République, qui font d’Elle l’espoir des hommes qui souffrent pour la Liberté, parce qu’elle est la Patrie des Lumières qui a aboli les ghettos en Europe au fur et à mesure de l’avancée des Armées de la Révolution et de l’Empire.
Evoquer le passé permet de sensibiliser tous ceux qui ont conscience que face aux menaces qui reprennent formes, il nous faut réagir avec résolution, il faut que notre émotion devienne un combat pour préserver nos valeurs, les valeurs de la France, les valeurs de la République.
Alors quand l’humanité sera pénétrée de ce respect mutuel, pourra naitre un monde nouveau auquel aspire dans l’angoisse et dans l’espoir les hommes avides de paix et de bonheur, ce monde nouveau qui ne sera autre que celui annoncé dans l’antique mais toujours actuelle prophétie d’Isaïe : « Plus de méfaits, plus de violences sur ma montagne sainte. »
Article Actu J